Hypnotiques et Alzheimer – Octobre 2011

En faisant sa « une » sur les dangers potentiels des hypnotiques dans la survenue de la maladie d’Alzheimer, la revue grand public Sciences et Avenir du 29 septembre 2011 peut se vanter d’avoir lancé une alerte particulièrement médiatisée : radios, télévisions, quotidiens ; affiches dans les kiosques et les gares ont immédiatement relayé cette information basée sur les résultats d’une étude (à paraître) de Bernard Bégaud, pharmacologue et épidémiologiste à l’université de Bordeaux.

Comme le veux parfois le fonctionnement de la communication grand public qui fait volontiers caisse de résonance les mots employés étaient alarmants. Les effets potentiels de la prise d’hypnotiques ont décrits comme une « urgence » et un « coup de tonnerre ». Face à cette nouvelle, les autorités de santé ont été alors jugées inertes. Interviewé, Bernard Bégaud précise que « cette affaire est une vraie bombe, mais les décideurs n’ont pas l’air de le réaliser. […] « Les dirigeants de l’Afssaps et la Direction générale de la santé ont été informés. Mais personne n’y prête attention. […] « Dans l’affaire du Mediator, on parle de 500 à 2000 morts en trente ans. Avec les benzodiazépines, du fait de la consommation forcenée dans la population âgée, c’est beaucoup plus ». Cette affaire est-elle si nouvelle ?

Dans l’attente de pouvoir avoir accéder aux résultats de l’étude, une possibilité serait de reprendre la littérature publiée dans les revues à comité de lecture. En cherchant sur Pubmed on trouve une publication suédoise de 1998 qui évoque un rôle protecteur possible des benzodiazépines (Benzodiazépines may have protective efects againts Alzheimer disease. Alzheimer Dis Assoc Disord. 1998 Mar ;12(1):14-7.). Il faudrait se replonger sur sa méthodologie et vérifier qu’il n’existe pas de biais car on ne saurait oublier les leçons des soi-disant « bienfaits » du traitement substitutif de la ménopause supposé protecteur cardiovasculaire comme l’avait affirmé à tord l’enquête Nurse Health Study publiée dans une prestigieuse revue (NEJM, 1991, 325 : 756-62). Plus proche de nous, l’Inserm indiquait dès 2002 que les utilisateurs chroniques de benzodiazépines présentaient un risque supérieur de déclin cognitif (Long-term use and cognitive decline in the elderly. Paterniti S, Duouil C, Alpérovitch A. J Clin. Psychopharmacol. 2002. jun ;22(3) :285-93).

En 2006, le rapport du Sénat sur le bon usage des psychotropes indiquait : « l’impact délétère des benzodiazépines sur les performances cognitives, et en particulier sur la mémoire à court terme, a été mis en évidence par plusieurs études, même s’il n’est actuellement pas possible de conclure à l’existence d’un lien causal entre exposition aux benzodiazépines et détérioration cognitive. Les résultats de ces études conduites en population générale peuvent en tout cas être considérés comme un signal épidémiologique indiquant que des études complémentaires sont nécessaires. Du fait de la proportion importante de sujets exposés à ces médicaments, une augmentation, même minime, du risque de détérioration cognitive pourrait générer un nombre significatif de cas de démence, avec de larges répercussions sur la santé des populations âgées ».

Accuser les autorités de santé de ne pas se préoccuper du bon usage des psychotropes est réducteur. On en voudra pour preuve parmi d’autres l’existence de législation sur la limitation de durée des prescriptions (deux semaines pour les hypnotiques et douze semaines pour les anxiolytiques selon les arrêtés du 1er février 2001 et du 7 octobre 1991). Au total, ce « haro sur les benzodiazépines » (comme le titre Sciences & Avenir) largement médiatisé renforce le besoin de connaître les données récente de pharmaco-épidémiologie et de s’en livrer à une exégèse pointue comme le Sénat l’avait déjà remarqué en 2006. L’étude de Bégaud basée sur l’étude de la cohorte Paquid parvient-elle à établir un lien causal ? Aucun des commentaires grand public ne permet de le savoir tant leur qualité est douteuse et la lecture de la publication originale (impossible à la date de 5 octobre 2011) s’impose. Au total, il s’agit de la réouverture médiatique d’un dossier ancien et, pour l’heure, les cliniciens restent dans l’attente d’avoir accès aux données scientifiques dont on verra si elles constituent – ou pas – une « bombe ».

Pour en savoir plus voir les équations de recherche Pubmed proposée le service ma-biblio.com donnant accès aux nombreux abstracts concernés.

http://www.ma-biblio.com/categorie/bibliotheque-flux/flux-medecine-du-sommeil/

N. Postel-Vinay, éditions Imothep médecine sciences pour le site de la SFRMS. 5 octobre 2011.