Les mots de la somnolence

Le journal Neurophysiologie clinique – Clinical Neurophysiology (NCCN) a consacré un numéro spécial (avril 2024) sur le thème de l’hypersomnolence, coordonnée par le Pr Jean-Arthur Micoulaud-Franchi. Ce numéro est introduit par un article proposant une analyse en réseau lexical des termes associés à la somnolence dans les publications scientifiques.

Un état des lieux lexical

Cette étude a été menée par Vincent Martin, chercheur en informatique actuellement en post-doctorat au Luxembourg Institute of Health. Ces analyses s’inscrivent dans une lignée d’études initiées avec Jean-Arthur Micoulaud-Franchi visant à utiliser des outils bibliométriques pour mieux définir les notions et objets de la médecine du sommeil. En particulier, Vincent Martin cherche à mieux définir ce qu’est la somnolence. Un premier article publié dans la revue Sleep Medicine Reviews en 2023 s’intéressait aux outils utilisés pour mesurer la somnolence, avec une approche historique. Pour ce nouvel article, publié dans NCCN, le journal de la Société de Neurophysiologie Clinique de Langue Française, l’approche repose sur les mots associés à la somnolence dans la littérature . Autrement dit, le but de cette étude est de dresser un état des lieux et de déterminer ce qui est associé à la somnolence dans l’intégralité de la littérature publiée à ce jour.

Vincent Martin au Congrès du Sommeil

Pour se faire, les auteurs de l’article ont croisés leurs compétences et ont ouvert un dialogue entre données informatiques et compétences d’experts en médecine du sommeil. L’approche basée sur les données commence par une simple requête sur le moteur de recherche PubMed, pour laquelle les titres et abstracts de tous les articles publiés associés au mot clé « somnolence » (« sleepiness » en anglais) sont récupérés. Cette recherche permet d’identifier 18 370 articles. A partir des termes contenus dans les titres et résumé, une analyse en réseau lexical est réalisée, synthétisant les mots qui revenaient le plus souvent, les liens les unissant et les grandes dimensions sous-jacentes [Figure 1]. Plus deux termes apparaissent ensemble, plus le trait qui les unit est épais. Les groupes lexicaux, représentés sur la Figure 1 par un code couleur, sont dans un premier temps estimés algorithmiquement. Cette première esquisse est ensuite transmise aux experts en médecine du sommeil afin de réajuster l’analyse des données recueillies, de regrouper les mots évoquant la même notion (e.g. ‘Multiple Sleep Latency Test’ et ‘MSLT’) et corriger les catégories identifiées par l’algorithme. Au total, ce sont plus de 4 millions de termes qui ont été analysés pour aboutir à la Figure 1.

Le code utilisé est accessible en ligne et Vincent Martin indique que la reproduction de cette expérience avec un autre terme est relativement facile.

Des notions interconnectées

Figure 1 - À noter que les liens de cette figure sont seuillés pour préserver la visibilité globale. Quand un lien est trop faible il n’est pas représenté par un trait. Plus un cercle est gros, plus le mot est présent dans les articles étudiés.

Sur cette figure, on remarque notamment que le test itératif de latence d’endormissement (TILE, ou MSLT en anglais), test standard pour mesurer la somnolence, est étonnamment peu évoqué dans les articles analysés. Ce phénomène s’explique par la méthode de sélection exhaustive des articles employée. Le TILE n’est fréquent qu’en médecine du sommeil alors que cette figure inclut des données de toutes les disciplines. De fait, la place du TILE reste modeste à l’échelle de toute la littérature scientifique répertoriée dans PubMed et contenant le terme « somnolence ».

Trois catégories de termes se distinguent sur la figure, représentés par différentes couleurs. En orange, au milieu, un champ lexical lié à l’apnée du sommeil et aux maladies du sommeil avec notamment l’OSAS, la CPAP ou l’insomnie. Cette catégorie est prise en tenaille entre deux autres thématiques : les mesures objectives, colorées en bleu (mesures d’arousal, neurophysiologie, potentiels évoqués, PSG) et les mesures subjectives en vert (questionnaires). Il est intéressant de noter qu’il y a très peu de communication entre ces deux types de mesure, indiquant que l’une ou l’autre est choisie pour approcher une maladie mais rarement les deux.

Revaloriser l’approche électrophysiologique de la somnolence

La somnolence est généralement perçue sous trois prismes.

  • Approche subjective mesurée à travers des questionnaires
  • Approche comportementale mesurée notamment à travers des tests de performance ou des temps de réaction
  • Approche neurophysiologique avec le TILE, le TME ou le PVT

Historiquement, la somnolence est mesurée avec une approche électrophysiologique et des électrodes. Vincent Martin et ses collaborateurs ont eu l’intuition qu’un basculement dans sa considération s’est effectué avec l’arrivée des questionnaires. On passe d’un phénomène psycho-physiologique mesurable à une vision de la somnolence comme un symptôme clinique, critère diagnostique d’une pathologie. Cette hypothèse se vérifie en mesurant les termes utilisés historiquement. Les données, présentes dans l’article, révèlent ainsi un déclin relatif de l’électrophysiologie au fil des années.

Dans la discussion, les auteurs proposent de revaloriser l’approche neurophysiologique de la somnolence. En effet, les résultats recueillis avec le TILE correspondent simplement à une latence d’endormissement. C’est une métrique efficace et démocratisée mais qui peut paraître réductrice face au dispositif technique déployé. L’idée serait d’approfondir les données recueillies en exploitant de façon plus poussée le signal EEG, pour en tirer de nouvelles métriques. Ainsi, les auteurs suggèrent de mettre en place un cercle vertueux où la médecine du sommeil réinvestit le champ de la neurophysiologie clinique.

De l’importance des définitions

Dans cette optique de renforcer l’efficacité des outils de mesure, il est important d’avoir une définition exacte de l’objet mesuré. À l’heure actuelle, il y a encore une imprécision sur les entités cliniques en médecine du sommeil. L’idée du projet NUITS, financé par une bourse pratique de la SFRMS, est de mieux définir et de mieux cerner ces entités. Une première proposition de sémiologie du sommeil est ainsi en cours de publication. Sous forme de roue interactive et dynamique, Vincent Martin et ses collaborateurs ont référencé les entités mesurables dans le cadre d’un entretien clinique de médecine du sommeil. Cet outil pourra notamment être partagé auprès des étudiants afin de les éclairer sur ce qu’englobe la sémiologie du sommeil.

Ces études démontrent l’importance de faire quelquefois un pas en arrière afin d’avoir une vision plus générale du champ d’étude dans lequel les chercheurs et médecins évoluent afin d’apercevoir des possibilités d’amélioration de leurs pratiques.

Pour aller plus loin

Étude de l’article

Martin VP, Gauld C, Taillard J, Peter-Derex L, Lopez R, Micoulaud-Franchi JA. Sleepiness should be reinvestigated through the lens of clinical neurophysiology: A mixed expertal and big-data Natural Language Processing approach. Neurophysiol Clin. 2024;54(2):102937. doi:10.1016/j.neucli.2023.102937
 
Outils de mesure de la somnolence
Martin VP, Lopez R, Dauvilliers Y, Rouas JL, Philip P, Micoulaud-Franchi JA. Sleepiness in adults: An umbrella review of a complex construct. Sleep Medicine Reviews. 2023;67:101718. doi:10.1016/j.smrv.2022.101718
 
Questionnaires divers
 

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