Sommeil et métabolisme – mai 2012

Par le Dr Karine Spiegel, mai 2012

De nombreux articles mettant en relation le sommeil et surcharge pondérale ont été repris dans différents médias, le Dr Karine Spiegel – Physiologie intégrée du système d’éveil, Département de Médecine Expérimentale, Faculté Rockefeller à Lyon – répond à nos questions.

Q1 – Faut-il une quantité minimum de sommeil pour bien tenir son poids ?

Un faisceau d’arguments expérimentaux et épidémiologiques suggère qu’une quantité minimum de sommeil serait effectivement nécessaire pour réguler son poids correctement. Chez l’adulte jeune de poids normal, des privations partielles répétées de sommeil stimulent la faim par une modification de la régulation neuroendocrinienne de l’appétit et altèrent le métabolisme glucidique. Une durée de sommeil insuffisante limiterait également l’efficacité d’un programme de perte de poids. La question se pose de la durée de sommeil minimale qui permettrait une régulation optimale du poids. En fonction de leurs facteurs génétiques et environnementaux, certains individus auront besoin de peu de sommeil, certains de beaucoup et il n’est donc pas possible de proposer une durée qui s’appliquerait à toute la population. Toutefois, à titre indicatif, un risque accru d’obésité est généralement rapporté dans les études épidémiologiques menées chez l’adulte à partir d’une durée de sommeil inférieure à 6h.

Q2 – Un enfant est-il soumis au même rapport sommeil-obésité qu’un adulte ?

L’influence d’un manque de sommeil sur le risque d’obésité est plus nette et plus importante chez l’enfant que chez l’adulte. En effet, toutes les études épidémiologiques longitudinales conduites chez l’enfant rapportent une association monotone inverse entre la durée du sommeil en début de suivi et le gain de poids ou d’adiposité quelques années plus tard. Une méta-analyse des données recueillies auprès de 30 000 enfants indique que le risque d’obésité augmente de 9% pour chaque heure de sommeil perdue. En revanche, parmi les études menées chez les adultes, certaines ne rapportent pas d’association significative, une étude rapporte une relation monotone inverse alors que d’autres rapportent des associations en U ou en L : le lien entre durée du sommeil et risque d’obésité est plus complexe chez l’adulte et semble diminuer avec l’âge.

Q3 – Le lien en sommeil et obésité varie-t-il en fonction de son sexe, de sa génétique ?

Bien que des différences soient relevées dans certaines études, le manque de sommeil semble influencer le poids de façon globalement similaire pour les deux sexes. Pour ce qui est de la génétique, une étude publiée[1] le mois dernier par Watson et al. dans le journal « Sleep » a démontré que la durée du sommeil modulait l’expression de facteurs génétiques prédisposant au gain de poids. Cette étude réalisée auprès de 1088 paires de jumeaux monozygotes ou dizygotes suggère qu’une durée de sommeil courte (<7h) favoriserait l’expression de gènes prédisposant à l’obésité, et qu’à l’inverse, un sommeil prolongé (>9h) en réduirait l’expression permettant ainsi un meilleur contrôle du poids. Tout récemment, l’étude[2] menée par le Prof. E Challet de l’Université de Strasbourg a montré que l’intégrité de notre horloge biologique est cruciale pour la santé métabolique. Le sommeil et la rythmicité circadienne étant intimement liés, se pourrait-il qu’un déficit de sommeil affecte notre santé métabolique en modulant l’expression des gènes régulant notre horloge biologique ? Cette hypothèse reste à vérifier.

Q4 – Dormir plus permet-il de perdre du poids ?

Seules des études interventionnelles randomisées permettront de répondre à cette question. Aucune n’a été publiée à ce jour. Une étude en cours aux Etats-Unis vise à déterminer si une extension de sommeil chez des adultes obèses âgés de 18 à 50 ans et dormant habituellement moins de 6h par nuit aurait un effet bénéfique sur le poids. Le lien entre sommeil court et risque d’obésité diminuant avec l’âge, nos études ciblent des populations pédiatriques et des adultes de moins de 25 ans. Nous explorons notamment si un allongement de la période de sommeil aurait des effets thérapeutiques sur les marqueurs subjectifs, comportementaux et physiologiques de l’obésité et de ses co-morbidités chez des adolescents et des jeunes adultes obèses dormant habituellement peu et s’il permettrait d’améliorer l’efficacité d’un programme de perte de poids chez des enfants obèses. Une étude observationnelle publiée en 2011 par Chaput et al. suggère que de telles stratégies pourraient avoir des effets bénéfiques. En effet, ces auteurs ont montré que passer d’une durée de sommeil insuffisante (moins de 6h/nuit) à une durée de sommeil comprise entre 7 et 8h permet de limiter le gain de poids et de masse grasse lié à l’âge.

[1] Sleep duration and body mass index in twins : a gene-environment interaction. Watson NF, Harden KP, Buchwald D, Vitiello MV, Pack AI, Weigle DS, Goldberg J. Sleep. 2012 May 1 ;35(5):597-603.

[2] The nuclear receptor REV-ERB ? is required for the daily balance of carbohydrate and lipid metabolism. Delezie J, Dumont S, Dardente H, Oudart H, Gréchez-Cassiau A, Klosen P, Teboul M, Delaunay F, Pévet P, Challet E. FASEB J. 2012 May 4.